Attaque du Hamas
Le bal des hypocrites
Reconnaissant à Israël un « droit de se défendre », la communauté internationale se lave les mains de ses responsabilités.
Un billet d’humeur par Guilhem Dargnies
© SIPA/APAIMAGES
Du ballet des réactions auxquelles on a eu droit de la part des leaders politiques du monde occidental depuis l’attaque d’ampleur du Hamas contre Israël, le 7 octobre, émerge un sentiment, l’effroi, et on le comprend. À cet égard, certaines précautions de langage sont inutiles : oui, le Hamas est un groupe terroriste. Oui, un groupe armé qui s’en prend à des civils commet des actes terroristes, il n’y a aucun de doute là-dessus. Tandis que l’on joint notre propre voix à celles qui expriment leur solidarité avec les victimes, leurs proches et leurs familles de part et d’autre du conflit, comme à celles qui demandent la libération des otages détenus par le Hamas.
Si parmi les alliés d’Israël, Joe Biden a incarné une des rares voix appelant l’État hébreu à respecter « le droit de la guerre » dans sa réponse au Hamas, d’autres ne se sont en revanche autorisé aucune nuance dans l’expression de leur soutien à l’exécutif israélien. Cela relève d’une hypocrisie qu’il s’agit de dénoncer. En particulier l’attitude prétendant reconnaître à Israël un « droit de se défendre ». Je n’aime pas cet euphémisme qui cache une sorte de blanc-seing donné pour se venger – ce qu’illustre encore tout dernièrement l’ordre du gouvernement israélien d’évacuer un million de Palestiniens du nord vers le sud de Gaza contre l’avis de l’ONU. Car alors que le désir de vengeance est humain, le passage à l’acte, lui, n’est jamais inéluctable. Sauf à vouloir montrer ses muscles au prix d’ajouter de la violence là où il y en a déjà bien assez.
Un tel langage a bon dos, aussi, car il dédouane de toute responsabilité la communauté internationale. Celle-ci a-t-elle purement et simplement renoncé à accompagner Israël et l’Organisation palestinienne vers une paix durable ? Les secteurs au pouvoir dans les sociétés occidentales doivent bien en retirer quelque avantage. Que l’on se contente ici d’évoquer le lien entre climat de tension sur la scène internationale et… développement du commerce des armes, gonflement des budgets des armées, réaffirmation de l’appartenance à un camp au plan militaire, droitisation des exécutifs et des opinions publiques, etc.
La question qui se pose ici est celle du degré de notre hypocrisie. « Notre » puisque, reconnaissons-le, elle est collective. Cette fausseté, je le crois, est proportionnelle à la honte que l’on ressent au regard des statistiques du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies – lequel a inventorié les victimes du conflit israélo-palestinien entre le 1er janvier 2008 et le 21 septembre 2023. Ces données, il faut le dire, sont publiques et connues de toutes les diplomaties au monde.
Que dis-je, une honte ? C’est une claque ! Ces chiffres font apparaître un écart abyssal entre le nombre de morts de part et d’autre. Avec 308 tués côté israélien et 6407 côté palestinien, les victimes palestiniennes se révèlent vingt fois plus nombreuses ! Et si l’on en isole le décompte des civils tués par des groupes armés ou des militaires – ce qu’on a qualifié plus haut sans hésiter de « terrorisme » – l’écart est encore plus sidérant : jusqu’à quatre-vingt fois plus ! Incontestablement, la palme du nombre de morts provoquées, d’après ce sinistre tableau, revient à Israël. Mais les Palestiniens ne sont pas pour autant en reste. Car dans trois cas sur cinq, c’est un civil palestinien manifestement radicalisé qui est à l’origine des homicides d’Israéliens.
De ces chiffres, on retire trois interrogations. D’abord, jusqu’où l’écart du nombre de morts de part et d’autre du conflit doit-il se creuser pour que l’on cesse, sans rougir, de reconnaître sans nuance à Israël un « droit de se défendre » ? Ensuite, combien de temps faudra-t-il à l’État hébreu pour admettre que multiplier le nombre de victimes côté palestinien fragilise sa sécurité plutôt que de la renforcer ? Enfin, à quoi de si précieux les pouvoirs exécutifs de par le monde et leurs soutiens doivent-ils ensemble renoncer afin de pouvoir définitivement garantir aux Palestiniens les conditions d’une vie digne, critère indispensable à l’installation d’une paix véritable ? Car sans cela, hélas, on ne voit pas bien comment ces derniers trouveraient assez de ressources pour marginaliser, en leur sein, les plus radicalisés et résolument hostiles à Israël.
Guilhem Dargnies
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