Humanité(s)-Vers une culture de la rencontre

HUMANITÉ(S)

Nick Drake: crépuscule de la lune rose

par | 6 Mai 2024 | Chroniques | 0 commentaires

Dans le tumulte des Jeux Olympiques de Berlin en 1936, une histoire d’amitié transcendant les frontières, physiques et culturelles, est née entre deux hommes admirables : l’Américain Jesse Owens et l’Allemand Carl « Luz » Long. Leur rencontre sur la piste d’athlétisme de Berlin allait marquer un moment indélébile dans l’histoire du sport et de l’humanité.

Ce début d’amitié entre les deux hommes, immortalisée par quelques clichés en noir et blanc capturés le 4 août 1936, incarne une puissante histoire universelle d’unité et de fraternité. Allongés sur le sol du stade de Berlin, Owens et Long échangent des sourires complices après leurs essais en saut en longueur. Mais au-delà de l’image de deux athlètes se reposant après l’effort, ces photographies symbolisent la rencontre de deux hommes venus de mondes différents, rivaux sur le terrain mais unis par leur passion pour le sport et partageant un grand respect mutuel.

Jesse Owens, né James Cleveland Owens le 12 septembre 1913 à Oakville, Alabama(États-Unis), était le plus jeune de dix enfants d’une famille de métayers. Son déménagement à Cleveland dans l’Ohio, alors qu’il avait neuf ans, a marqué le début d’un parcours qui allait le conduire aux sommets de l’athlétisme mondial. Encouragé par son coach de lycée Charles Riley et guidé par son entraîneur à l’université, Larry Snyder, Owens a gravi les échelons pour représenter les États-Unis aux Jeux Olympiques de 1936.

Jesse Owens, né dans une Amérique où la ségrégation raciale était encore la norme, et Luz Long, issu d’une famille bourgeoise allemande, incarnaient des réalités sociales et politiques diamétralement opposées. Owens était le fils de fermiers afro-américains dans l’Alabama, un État marqué par la discrimination raciale et la violence contre les Noirs. Il a grandi dans un environnement où les droits des Afro-Américains étaient bafoués, où les écoles, les restaurants et les lieux publics étaient souvent séparés selon la couleur de la peau. En revanche, Luz Long venait d’une famille aisée de Leipzig, en Saxe, où il a bénéficié d’une éducation privilégiée et a eu accès à des opportunités que beaucoup d’autres n’avaient pas.

Ces différences culturelles et sociales auraient pu les éloigner l’un de l’autre, mais dans l’enceinte du stade olympique de Berlin, leur fraternité sportive a transcendé ces barrières. Alors que le régime nazi promouvait l’idéologie de la supériorité aryenne et la séparation des races, Owens et Long ont délibérément choisi de s’élever au-dessus de ces divisions. Leur partenariat sportif et leur respect mutuel ont défié les idées préconçues sur la race et la nationalité, démontrant au monde entier que la véritable grandeur réside dans la solidarité et l’humanité partagées, plutôt que dans la couleur de la peau ou l’origine sociale.

Le voyage vers Berlin s’est fait à bord du paquebot « Manhattan », où plus de 300 membres de l’équipe olympique américaine ont navigué depuis New York le 15 juillet 1936. Les Jeux Olympiques de Berlin, ouverts par Adolf Hitler le 1er août, étaient destinés à être une vitrine de la supposée supériorité aryenne. Cependant, c’est là que l’amitié entre Owens et Long allait défier les idéaux nazis.

Propagande Nazie

Image de propagande nazie sur l’inégalité des races: les responsables de la propagande nazie font croire à leur public que  les images – et en particulier les photographies – parlent d’elles-mêmes : « Bilder sprechen! », c’est le commentaire qui accompagne une brochure de propagande sur la politique raciale… L’amitié entre Owens et Long viendra contrecarrer cette idéologie mortifère.

Un homme noir boit à un distributeur d'eau réservé aux « gens de couleur » à un terminal de tramway en 1939, à Oklahoma City.

Un homme noir boit à un distributeur d’eau réservé aux « gens de couleur » à un terminal de tramway en 1939, à Oklahoma City. Owens dira: « À mon retour aux États-Unis, je ne pouvais pas m’asseoir à l’avant des autobus, je devais m’asseoir à l’arrière, je ne pouvais pas vivre là où je le voulais. »

Le moment le plus mémorable de leur rencontre survint lors de l’épreuve de saut en longueur. Owens, ayant « mordu » ses deux premiers essais était au bord de l’élimination. C’est alors que Long lui offrit un précieux conseil technique qui permit à Owens de se qualifier pour la finale. Dans un face-à-face épique, Owens remporta l’or avec un saut de 8,06 mètres, tandis que Long décrocha l’argent avec 7,87 mètres. Après la cérémonie de remise des médailles, Owens et Long marchèrent bras dessus, bras dessous dans le stade, symbole d’une amitié naissante.

Il semblerait que cette anecdote, rapportée par Owens en 1964, ne soit qu’une des légendes entourant ses exploits, potentiellement créée par Owens lui-même par amitié pour Long. En 1965, Tom Ecker, historien et auteur de « Olympic Facts and Fables », interroge Owens sur la véracité de cette histoire. Après avoir examiné les films tournés en 1936, Ecker ne trouve aucune preuve visuelle corroborant l’anecdote. Owens avouera alors avoir fabriqué cette histoire pour faire plaisir au fils de Long. En réalité, il reconnaît ne pas avoir rencontré Long avant la fin de la compétition, moment où ils sont devenus amis.

Tour d'honneur après la victoire de Jesse Owens

Malgré la pression du régime nazi, qui interdisait toute interaction entre les athlètes allemands et non-aryens, Owens et Long cultivèrent une amitié qui traversa les frontières. Long fut réprimandé par les officiels nazis pour avoir passé du temps avec Owens en dehors des compétitions. Pourtant, leur lien continuait de se renforcer, et Long écrivit même une lettre émouvante à Owens pendant la guerre, exprimant son souhait que leur amitié inspire les générations futures à rechercher la paix et la compréhension entre les peuples.

Le podium de l'épreuve de saut en longueur aux JO de Berlin 1936

Le podium de l’épreuve du saut en longueur, JO de Berlin, 1936

Tragiquement, la vie de Long prit fin lorsqu’il fut blessé mortellement lors du débarquement en Sicile en 1942 pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais son fils, Karl, entretint le lien avec la famille Owens, perpétuant ainsi l’héritage d’amitié et de respect mutuel laissé par son père.

L’histoire de Jesse Owens et de Carl « Luz » Long reste un exemple inspirant de la capacité de l’amitié à dépasser les différences culturelles, politiques et sociales. Leur amitié, forgée dans les moments les plus sombres de l’histoire, continue de rayonner comme un phare d’espoir et de fraternité pour les générations futures.

La Mort suspecte de Jean-Paul Ier

« J’ai la sensation que celle-ci sera ma dernière lettre, donc quand tu retourneras en Allemagne, une fois la guerre finie, va voir mon fils et dis-lui qui était son père, je t’en prie, Jesse, raconte-lui comment deux hommes, sur cette terre, peuvent être amis » (Exrait d’une lettre de Luz Long à Jesse Owens)

Concours du « saut en longueur », Jeux Olympiques de Berlin 1936:

« Jesse Owens-Luz Long, le temps d’une étreinte », un film de Véronique Lhorme (2016)

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