Portrait
Jean Monnet: le monde appartient aux audacieux
Ces dernières décennies, de nombreuses rumeurs et théories du complot ont émergé, affirmant que Jean Monnet, l’un des pères fondateurs de l’Union européenne, était un agent au service des Américains, notamment de la CIA. Selon ces spéculations, la construction européenne aurait été secrètement orchestrée par le gouvernement des États-Unis pour servir ses propres intérêts géopolitiques. Bien que ces allégations soient séduisantes pour certains, elles méritent d’être examinées à la lumière de quelques faits historiques qui jalonnent le parcours remarquable et audacieux de l’un des véritables artisans de notre Europe.
Jean Monnet, enfant
Vienne, Autriche, vers 1900
Départ pour l’Amérique
Audience auprès de préseident du conseil
Rencontre avec Silvia
En parallèle de ses efforts pour la paix et la coopération, la vie personnelle de Jean Monnet fut marquée par une rencontre déterminante. C’est en 1929, lors d’un voyage d’affaires à Paris, qu’il croisa le chemin de Silvia de Bondini, une femme artiste-peintre italienne d’une beauté saisissante et au caractère affirmé. Silvia, cependant, était mariée à un autre homme, ce qui rendait toute relation avec elle non seulement compliquée mais aussi socialement inacceptable pour la morale bourgeoise de l’époque.
Silvia et Jean Monnet
Malgré les obstacles, Monnet et Silvia développèrent une relation profonde et sincère. Ils étaient attirés l’un vers l’autre par une force irrésistible, une connexion qui transcendait les conventions. Leur amour, bien que clandestin au début, devint rapidement une part essentielle de la vie de Monnet. Il ne se contenta pas de leur relation secrète et se mit en tête de légitimer leur union. Pendant des années, il lutta pour obtenir le divorce de Silvia, un processus long et pénible dans la France de l’entre-deux-guerres.
Face à cette situation délicate, son ami Ludwig Rajchman, ancien directeur de la section d’hygiène de la Société des Nations (SDN) – ancêtre des Nations-Unies dont Monnet fut le jeune directeur adjoint – proposa une solution tout à fait audacieuse et originale: Silvia devait se rendre à Moscou, prendre la nationalité soviétique, et profiter d’une disposition de la loi russe pour divorcer unilatéralement, afin d’épouser Jean Monnet. C’est ainsi que, en avril 1934, après un voyage épique à travers le transsibérien depuis Shanghai, Monnet arriva à Moscou pour épouser Silvia.
Jean Monnet qualifia cet épisode de « plus belle affaire de sa vie » dans ses Mémoires. Leur union, officialisée dans des circonstances extraordinaires, apporta à Monnet une source essentielle de bonheur, de stabilité et de sérénité. Ensemble, ils eurent deux filles : Anna, née en 1931, et Marianne, née à Washington DC en 1941. Leur mariage, qui dura 45 ans jusqu’à la mort de Silvia en 1979, fut une pierre angulaire dans la vie de Monnet, soutenant sa quête pour bâtir non seulement une Europe unie, mais aussi une vie personnelle harmonieuse et épanouie.
Création de la CECA
La Seconde Guerre mondiale, avec son cortège de destructions et de souffrances, renforça la conviction de Monnet que la paix durable ne pourrait être assurée que par une intégration économique et politique profonde entre les nations européennes. Dès 1943, alors que les combats faisaient encore rage, il commença à élaborer des plans pour l’après-guerre. Son objectif était clair : prévenir de nouveaux conflits fratricides en unissant les pays européens autour d’intérêts communs.
En 1950, en réponse à la menace de nouvelles hostilités, il conçut avec Robert Schuman le plan éponyme (communément appelé « Déclaration Schuman », 9 mai 1950) visant à placer les productions française et allemande de charbon et d’acier sous une autorité commune. Ce geste audacieux, plus qu’économique, était symbolique : il signifiait la fin des rivalités séculaires et le début d’une coopération sans précédent. La Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) était née, prélude à la construction européenne.
Jean Monnet et Robert Schuman
Monnet, bien que souvent dans l’ombre, fut le véritable artisan de cette Europe naissante. Son œuvre ne se limitait pas à des structures institutionnelles, mais visait à forger une conscience européenne, une identité commune transcendant les nationalismes étriqués. Il croyait fermement que l’Europe unie pourrait non seulement garantir la paix, mais aussi apporter prospérité et progrès à ses peuples.
La CECA, en réunissant les anciennes nations belligérantes dans une coopération économique étroite, créa un précédent crucial pour l’avenir de l’Europe. Cette première pierre posée par Monnet et Schuman devint la fondation sur laquelle serait érigée l’Union européenne. Quelques années plus tard, en 1957, le traité de Rome, inspiré par les succès de la CECA, donna naissance à la Communauté Économique Européenne (CEE), ouvrant une nouvelle ère de collaboration et de développement.
Jean Monnet, homme discret et tenace, poursuivit son rêve avec une détermination inébranlable jusqu’à ses derniers jours. Il ne cherchait ni la gloire ni les honneurs, mais l’aboutissement d’une idée simple et puissante : celle d’unir des hommes et des femmes autour d’un projet commun, dépassant les haines et les guerres. Aujourd’hui, l’Union Européenne, bien que souvent critiquée et remise en question, demeure un témoignage vivant de son ambition et de sa vision. Les étoiles dorées sur fond bleu qui flottent au vent rappellent que, grâce à des esprits comme celui de Jean Monnet, la coopération et l’unité peuvent triompher des plus sombres chapitres de l’histoire.
Ainsi, dans ce coin tranquille de Cognac où tout commença, on pourrait presque entendre le murmure de la vigne chantant les louanges d’un homme dont la plume et la pensée ont redessiné les contours d’un continent. Jean Monnet, à travers son fabuleux destin, nous enseigne que la véritable grandeur réside dans la capacité à rêver d’un monde meilleur et à œuvrer sans relâche pour le bâtir. Le monde appartient définitivement aux audacieux.
Steve Lauper
« Nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons des hommes. »
« Les obstacles à la construction de l’Europe seront de plus en plus nombreux au fur et à mesure que l’on s’approchera du but parce que, dans la construction de l’Europe comme dans toute autre grande entreprise, les hommes poussent devant eux les difficultés les plus graves, laissant à leurs successeurs le soin de les résoudre. »
Citations de Jean Monnet
« Jean Monnet, le père discret de l’Europe » – Documentaire sur la chaîne Public Sénat
0 commentaires