Humanité(s)-Vers une culture de la rencontre

HUMANITÉ(S)

Comment faire société face à la politique de la peur de l’extrême-droite ?

par | 27 Juin 2024 | Tribunes | 0 commentaires

Extrême-droite

Comment faire société face à la politique de la peur ?

Dans cette tribune, l’auteur tente de comprendre les peurs de ceux de nos concitoyens qui votent pour le Rassemblement national. Et propose de s’inspirer du dernier film de Ken Loach pour retrouver tous ensemble, quelles que soient nos origines, ce qui nous lie les uns aux autres.

Une tribune d’Emmanuel Alcaraz, historien, agrégé d’histoire et de géographie. 

The Old Oak de Ken Loach

Le site Humanité(s), qui cherche à promouvoir une culture de la rencontre, ne fait pas de politique. Mais il met en avant des valeurs de fraternité, de solidarité et de partage. Ces valeurs sont en grand danger après la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron et les élections législatives qui risquent de voir l’extrême-droite avoir une majorité absolue ou relative à l’Assemblée nationale. 

Emmanuel Macron m’a fait penser à ce général dans Les sentiers de la gloire de Stanley Kubrick qui, suite à l’échec de son offensive pendant la guerre des tranchées lors de la première guerre mondiale, décide d’ouvrir le feu sur ses propres troupes incapables de prendre la tranchée adverse. L’hypertrophie du moi d’Emmanuel Macron va mettre au chômage bon nombre de députés et d’assistants parlementaires de sa majorité relative, ce qui montre le peu de cas qu’il fait pour les hommes et les femmes de son propre camp. 

Nous avons affaire désormais à trois blocs, parmi lesquels celui des gauches dont l’union semble fragile au sein de la coalition du Front populaire avec les éternelles tensions qui reprennent entre les mélenchonistes et les socio-démocrates. Au lieu de s’unir, ce sont encore les luttes internes et le jeu des petites phrases pour savoir qui sera le premier ministre en cas de victoire de la gauche. 

Impossible arrêt des migrations internationales

Quant au bloc central des libéraux, il semble en mauvais terme avec son chef Emmanuel Macron, qu’il supplie de ne pas trop se montrer pendant ces élections. Mais c’est peine perdue : l’orgueil du président l’empêche de prendre la mesure de son impopularité consécutive à sa politique néolibérale qui n’a pas épargné les classes populaires. Emmanuel Macron a été le président des riches et a méprisé les pauvres. Ils le lui ont bien rendu. 

Reste l’extrême-droite dont la victoire semble quasi-inéluctable, si ce n’est qu’on peut espérer un réveil des Français. J’essayais de comprendre les raisons profondes de ce vote extrême en discutant avec une commerçante d’une ville moyenne de l’Oise, Crépy-en-Valois. Elle me disait être « écrasée par les charges dans un centre-ville » qui voit les commerces péricliter, ne pas avoir « droit à des aides pour maintenir son activité » alors qu’elle souffre d’une invalidité partielle et « ne pas supporter que les immigrés aient droit à tout ». Elle se plaint d’un commerçant voisin issu de l’immigration qui mène une « concurrence déloyale ». Nous poursuivons la discussion et elle tient des propos qui expriment non pas une haine, mais une peur vis-à-vis des musulmans. Cette peur, je ne peux la nommer « islamophobie »(1) : elle n’est pas une haine. Elle est une inquiétude identitaire. C’est-à-dire qu’elle est faite de la hantise de ne plus se retrouver dans cette petite ville qui a changé et de perdre ses repères dans une société devenue multiculturelle. Cette dame exprime aussi un souhait de davantage d’autorité dans la société. Pour elle, les « insoumis » et la droite libérale macronienne sont incapables de régler les problèmes d’insécurité qui, selon elle, augmenteraient dans la société française.  

Cela, le Rassemblement national, malgré tous ses discours, n’y changera rien. Il a déjà fortement nuancé ses promesses économiques. Et aucune force politique ne peut stopper la mondialisation du fait migratoire, à moins de fermer totalement ses frontières et de vivre en autarcie, ce qui est impossible. L’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite en Italie le prouve. Elle a régularisé de nombreux sans-papiers dans un marché du travail sous tension où certains métiers ne sont pas suffisamment pourvus. Finalement, le Rassemblement national est un entrepreneur politique national-populiste qui cherche à instrumentaliser cette peur vis-à-vis d’une altérité. Il est certes plus nuancé que le parti Reconquête de Zemmour(2) qui cherche à transformer cette peur, vis-à-vis des musulmans, en haine. Pour autant, il est bien d’extrême-droite. Dans le sens où il est altérophobe et où il promeut un nationalisme et une société idéale où nous devrions tous être pareils, ce qui est bien sûr impossible.

Pour cette raison, je ne crains pas de parler d’un risque en France de mise en place d’une « politique de la peur » si le Rassemblement national parvient au pouvoir. En jouant sur la peur vis-à-vis d’un bouc-émissaire, les musulmans, ce mouvement politique est à même de justifier des restrictions à nos libertés individuelles et à l’Etat de droit.

Couverture de magazines

Ken Loach, « vieux chêne » pas si ringard

À écouter cette commerçante de Crépy-en-Valois qui a voté Rassemblement national aux Européeenes, on sent bien une nation sur le déclin qui se recroqueville sur elle-même et qui a peur de l’autre, peur de la mondialisation, peur du déclassement économique. C’est la France des « gilets jaunes » dont la colère a été attisée par le mépris du président Macron. 

Du coup, je sentais que c’était foutu pour les législatives, que mes compatriotes allaient renoncer à leurs valeurs universalistes pour voter pour le Rassemblement national. Par le plus grand hasard, j’ai regardé en vidéo à la demande (VOD, Ndlr) le film de Ken Loach « The Old Oak » (2023), que je pensais totalement ringard et rempli de bons sentiments. Eh bien, je m’en suis senti mieux et j’ai retrouvé un peu d’espoir.

Le film narre l’installation de réfugiés syriens musulmans dans une petite ville du Nord de l’Angleterre victime du chômage. Bien sûr, des tensions identitaires apparaissent entre anciens et nouveaux habitants. Mais le film raconte l’amitié entre le propriétaire d’un pub, The Old Oak (Le Vieux Chêne, Ndlr), et une jeune photographe syrienne, qui décident de monter une cantine populaire communautaire dans l’arrière-salle de ce vieux pub pour venir en aide aux pauvres, quelle que soit leur origine. À la fin du film, suite à un deuil, un défilé est organisé dans la ville avec une bannière brandie par les anciens et les nouveaux habitants. Y sont inscrits, en anglais et en arabe, les mots « solidarité », « force » et « résistance ». C’est cela qui peut nous sauver du Rassemblement national, ce n’est pas Emmanuel Macron, ce ne sont pas non plus les luttes internes au sein du Front populaire pour désigner le futur premier ministre. C’est que nous comprenions ce qui nous lie les uns aux autres et sur quelles valeurs nous pouvons faire société. Cela ne peut pas être bien sûr les valeurs qui sentent le ranci et le déclin du Rassemblement national. 

Emmanuel Alcaraz

Dernier ouvrage paru: France Algérie De tragédies en espérances, Éditions Golias, 2024

(1) Le terme d’islamophobe a été instrumentalisé par des associations de musulmans proche de la mouvance islamiste. Nous refusons ici tout amalgame entre l’islam et l’islam radical venant soit de l’extrême-droite, soit des fondamentalistes musulmans.

(2) Éric Zemmour a été condamné à de multiples reprises par la justice pour provocation à la haine et à la violence et injures publiques envers un groupe de personnes en raison de leur origine. Pour sa dernière condamnation, le 22 février 2024, la Cour d’appel de Paris l’a condamné pour ses propos tenus lors de la Convention de la droite en 2019 où il avait décrit le voile et la djellaba comme les « uniformes d’une armée d’occupation. » Dans son jugement, la cour d’appel de Paris estime qu’« après avoir dépeint tous les musulmans immigrés venus d’Afrique comme des colonisateurs exterminateurs, avec un champ lexical destiné à engendrer la peur, Éric Zemmour appelait expressément au combat, et exhortait explicitement à la discrimination, la haine ou la violence envers cette communauté musulmane ».

The Old Oak de Ken Loach

The Old Oak, film de Ken Loach, 2023

Auteur/autrice

Emmanuel Alcaraz

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