Portrait
Léon Blum: une vie de combats
Léon Blum, figure emblématique de la vie politique française, fut, dès son jeune âge, profondément marqué par les bouleversements d’une France en quête de sens, déchirée entre les vestiges d’un passé monarchique et les promesses d’une République en devenir. Homme de lettres avant d’être homme d’État, juriste brillant et penseur délicat, il trouva sa vocation dans la défense des idéaux de justice et d’égalité, qui résonnaient puissamment à ses yeux comme les véritables fondements de la République. Son engagement socialiste, d’abord discret mais profondément ancré, s’affirma au fil des crises qui secouèrent le pays. De la scission du congrès de Tours en 1920 à l’avènement du Front populaire, de l’ombre tragique du procès de Riom à la lumière vacillante de la Libération, Blum demeura l’une des consciences morales les plus élevées de son temps. Sa vie témoigne d’un parcours déterminé et résolu, chacun de ses engagements façonnant son héritage et son influence sur la France moderne, guidant le pays à travers les tumultes et les bouleversements du siècle.
Photo de couverture: Léon Blum en 1937 (domaine public)
Léon Blum enfant et ses quatre frères durant la première moitié de la décennie 1880.
À l’arrière-plan, Lucien (à gauche) et Léon (à droite, indiqué par une flèche).
Au premier plan, de gauche à droite : Georges, René (au centre, assis) et Marcel (les bras croisés).
Cette photographie a été publiée dans l’ouvrage de Jean Lacouture, Léon Blum, Paris, Seuil, 1977
Chapitre 1: les premières années (1872-1914)
Les racines d’un identité
Léon Blum naît le 9 avril 1872, au cœur de Paris, dans une rue étroite et commerçante, la rue Saint-Denis, où ses premiers pas de vie se mêlent à l’agitation d’un quartier populaire. Son père, Abraham-August Blum, originaire du village alsacien de Westhoffen, a gravi les échelons de la bourgeoisie en dirigeant une maison de soieries, rue Saint-Denis. Comme tant d’autres Alsaciens, la guerre de 1870 le pousse à choisir la France, la terre qui reste fidèle à son cœur. Sa mère, Laure Picart, née à Paris d’une famille alsacienne, est profondément pieuse, une âme imprégnée de justice sociale, qui veille à transmettre à ses enfants cette passion pour l’humanité.
Les racines juives de Blum, bien que modestes et discrètes, font souvent l’objet d’attaques antisémites, en particulier dans les milieux politiques. Ces persécutions renforcent en lui un sentiment d’appartenance et d’engagement. Face à l’adversité, il déclare plus tard avec une fierté contenue : « Je suis né Français, de parents français, et aussi loin qu’il est possible de remonter, ma famille est purement française. » C’est une identité complexifiée par l’histoire des Juifs en France que Blum porte en lui, une identité tissée de fidélité à une terre qui a offert à sa famille un foyer et une vie meilleure, mais qui n’est pas sans ses luttes.
Cette dualité de son héritage culturel, à la fois français et juif, forge chez Blum une sensibilité unique face aux injustices sociales, un héritage qu’il portera avec lui tout au long de sa vie et de son engagement politique.
Les années de formation : vers un esprit libre
Un intellectuel dans l’ombre de l’Affaire Dreyfus
Au tournant du XXe siècle, Léon Blum, déjà sensible aux questions sociales et politiques, s’oriente résolument vers le socialisme. Ce rapprochement ne se fait pas de manière brusque, mais découle d’influences majeures qui marquent profondément sa pensée et ses engagements futurs. Deux figures incontournables de l’époque jouent un rôle déterminant dans cette évolution : Lucien Herr et Jean Jaurès.
Lucien Herr, bibliothécaire de l’École Normale Supérieure et véritable « maître à penser » pour toute une génération d’intellectuels de gauche, devient un mentor intellectuel pour Blum. Derrière son poste à la bibliothèque, Herr exerce une influence discrète mais considérable, introduisant les jeunes esprits aux grands courants de la pensée socialiste. Sa vaste culture et son engagement pour une réflexion critique aident Blum à développer une conscience politique plus affirmée. C’est notamment Herr qui lui fait découvrir les œuvres de Karl Marx, tout en lui inculquant une approche humaniste du socialisme. Sous sa tutelle, Blum perçoit la nécessité de réformer la société non seulement sur le plan économique, mais aussi moral et philosophique.
Dans ce processus de maturation intellectuelle, Jean Jaurès joue un rôle tout aussi fondamental. Orateur hors pair, penseur profondément engagé, Jaurès incarne pour Blum l’alliance du courage moral et de la lucidité politique. Plus qu’un simple camarade politique, Jaurès devient un modèle. Leur amitié, forgée à travers de nombreuses luttes communes, notamment dans le contexte de l’Affaire Dreyfus, scelle la conversion de Blum au socialisme. Jaurès prône un socialisme humaniste, capable de concilier les idéaux de justice sociale avec les libertés individuelles, un socialisme réformiste qui renonce à la violence révolutionnaire mais vise à transformer la société en profondeur. Blum adopte pleinement cette vision, qu’il approfondira tout au long de sa carrière politique.
Bien avant l’éclatement de l’Affaire Dreyfus, qui révélera Blum au grand public, son engagement socialiste est solidement ancré, grâce à ces deux influences. Jaurès et Herr l’aident à façonner une vision politique fondée sur la justice, l’égalité et l’émancipation, tout en le préparant à jouer un rôle clé dans la vie publique française. Leur enseignement, à la fois intellectuel et moral, fait de Blum l’une des figures centrales de la gauche française du XXe siècle.
L’Affaire Dreyfus : l’éveil politique
L’Affaire Dreyfus, qui débute en 1894 avec l’accusation injuste de trahison portée contre le capitaine Alfred Dreyfus, un officier juif de l’armée française, marque un tournant majeur dans la vie de Léon Blum. Cette affaire, qui divise profondément la France entre dreyfusards et antidreyfusards, devient non seulement une crise nationale, mais aussi une fracture morale et politique qui expose les tensions autour de l’antisémitisme, de la justice, et des institutions républicaines.
Pour Blum, cette période est déterminante. Bien qu’il ait déjà adopté les idées socialistes, c’est dans le contexte de l’Affaire Dreyfus que son engagement pour la justice et la vérité prend véritablement corps. Face à ce qu’il considère comme une attaque non seulement contre un homme innocent, mais aussi contre les principes mêmes de la République et de la dignité humaine, Blum s’investit activement dans la défense de Dreyfus. Il rejoint le camp des dreyfusards, un groupe composé d’intellectuels, de journalistes et de politiciens de gauche, parmi lesquels figure Jean Jaurès, une figure qui marquera profondément la pensée et l’action de Blum.
Aux côtés de Jaurès, Zola, et d’autres figures du mouvement, Blum milite pour la réhabilitation de Dreyfus, voyant dans cette affaire un enjeu universel dépassant la simple question de l’innocence d’un homme. Pour lui, la lutte pour Dreyfus symbolise la lutte contre l’injustice, le racisme, et les dérives autoritaires de l’État. Il s’agit de défendre non seulement la vérité judiciaire, mais aussi les valeurs fondamentales de la République française : égalité, fraternité, et justice.
L’engagement de Blum dans cette cause lui vaut des attaques violentes de la part des milieux nationalistes et antisémites, qui ne cessent de stigmatiser son origine juive. Pourtant, loin d’être affaibli, cet engagement renforce sa conviction que la politique doit être au service de l’éthique et de la dignité humaine. L’Affaire Dreyfus joue ainsi un rôle clé dans la formation de l’identité politique et morale de Léon Blum, jetant les bases de son action future, qu’il placera toujours sous le signe du combat pour la justice et les droits de l’homme.
Léon Blum en BD (site du Parti Socialiste – www.parti-socialiste.fr)
L’écrivain avant le politique
Si Léon Blum s’immerge dans les méandres de la politique, il n’abandonne jamais sa passion première pour la littérature, un domaine où il a laissé une empreinte significative avant de s’engager pleinement dans l’action politique. Dès sa jeunesse, il collabore à des revues littéraires prestigieuses, telles que La Conque et La Revue Blanche. C’est dans cette dernière qu’il se forge un réseau intellectuel aux côtés d’André Gide, Pierre Louÿs, Marcel Proust, mais aussi de figures littéraires comme Jules Renard, Octave Mirbeau ou Tristan Bernard. Ces rencontres marquent le début d’une carrière littéraire qui révèle une sensibilité classique et une audace mesurée.
Blum n’hésite pas à s’attaquer à des sujets profonds et controversés, comme en témoigne son essai Du Mariage, publié en 1907. Cet ouvrage, qui explore les transformations des mœurs et de la sexualité, choque la société conservatrice de l’époque par son approche avant-gardiste. Ce texte, prophétique à bien des égards, anticipe les débats sur le mariage, la liberté individuelle et les rôles de genre qui deviendront centraux dans le XXe siècle. Ses adversaires politiques n’hésiteront pas à lui reprocher ce scandale lorsqu’il accédera au pouvoir en 1936, preuve de l’impact durable de ses réflexions sur la société.
Léon Blum, critique littéraire prolifique, ne se contente pas de contributions confidentielles à des revues littéraires. Il tient également des rubriques dans des journaux comme Gil Blas, L’Humanité, et plus tard Excelsior. Il y signe des critiques théâtrales et littéraires qui révèlent un esprit d’une grande clarté, doublé d’un style classique. Son écriture, qui embrasse avec sympathie les nouveautés littéraires, ne cède jamais à l’idéologie partisane, ce qui lui vaut à la fois les éloges de ses confrères conservateurs et les critiques de certains de ses camarades socialistes, tels que Colette Audry, qui lui reprochent une analyse « trop classique ». Blum n’adhère pas aux théories marxistes de l’époque, qu’il juge parfois bancales, notamment dans leur analyse des œuvres littéraires.
Son style se caractérise par une sobriété qui, sans être dénuée d’élégance, s’accorde au mouvement de la pensée sans effets de manche inutiles. Il ne cherche pas à appliquer des critères sociaux ou politiques à l’évaluation des œuvres, préférant les juger sur leur valeur intrinsèque. C’est ce que montre son dernier essai, Stendhal et le Beylisme (1914), dans lequel il redonne à Stendhal une place d’honneur dans la littérature française, loin des tentatives de récupération conservatrice. Blum y met en lumière l’importance de Stendhal comme témoin de son époque, plutôt que comme simple romancier, une approche qui préfigure celle des critiques marxistes d’un demi-siècle plus tard.
Ainsi, bien avant de devenir le leader emblématique du Front populaire, Léon Blum s’est affirmé comme un homme de lettres d’une grande profondeur. Son parcours littéraire, marqué par des réflexions audacieuses sur les mœurs et une défense des auteurs méconnus, montre un intellectuel qui, tout en restant fidèle à un certain classicisme, n’hésite jamais à bousculer les conventions de son temps.
L’homme libre est celui qui n’a pas peur d’aller jusqu’au bout de sa pensée.
Les prémices d’un engagement total
Chapitre 2: le dirigeant de la SFIO (1919-1934)
L’entrée en scène : les élections de 1919 et l’ascension politique
En 1919, Léon Blum, encore juriste et homme de lettres, accède enfin à une place centrale dans la politique socialiste, lors des élections législatives de cette année-là. Alors que la Première Guerre mondiale a transformé profondément le paysage politique français, la SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière) traverse une période d’incertitudes. Le parti socialiste, en quête d’un second souffle, s’efforce de préserver l’héritage démocratique et républicain de Jean Jaurès tout en réajustant ses positions face aux bouleversements sociaux et économiques d’après-guerre.
Lors du congrès de la Bellevilloise, en avril 1919, Blum intervient avec conviction pour éviter la radicalisation révolutionnaire prônée par certains de ses camarades, notamment ceux fascinés par l’exemple bolchevique russe. Il plaide pour une approche plus mesurée et progressive, fidèle aux valeurs républicaines et humanistes du socialisme à la française. Grâce à son habileté oratoire et politique, il parvient à maintenir l’unité apparente de la SFIO à l’approche des législatives, bien que le parti subisse néanmoins une lourde défaite face à la droite, qui domine le scrutin.
Pourtant, Blum, lui, sort victorieux. Il est élu député de la Seine, marquant ainsi le début d’une carrière parlementaire qui s’étendra sur plusieurs décennies. Cette victoire le pousse à démissionner de son poste prestigieux au Conseil d’État, où il a servi depuis 1905, pour se consacrer pleinement à la politique.
La scission de Tours : un tournant décisif
L’un des moments charnières de la carrière de Léon Blum survient en décembre 1920, lors du Congrès de Tours, qui voit la scission historique de la SFIO. Ce congrès divise les socialistes français en deux camps distincts : d’un côté, ceux qui souhaitent adhérer à la Troisième Internationale, créée par Lénine pour fédérer les mouvements communistes mondiaux ; de l’autre, ceux qui, comme Blum, rejettent cette voie autoritaire et refusent de sacrifier les idéaux démocratiques du socialisme français sur l’autel du bolchevisme.
Blum s’y oppose farouchement, dans un discours mémorable qui fait date dans l’histoire du socialisme. « Il faut que quelqu’un reste garder la vieille maison », dit-il, soulignant l’importance de préserver l’indépendance et les valeurs historiques de la SFIO, face à ce qu’il considère comme une dérive autoritaire et aventureuse des communistes. Ce refus de suivre la majorité du parti l’isole quelque peu, mais lui permet de se poser en défenseur intransigeant des idéaux républicains et démocratiques.
Sa vision du bolchevisme, qu’il perçoit comme une hérésie séparée du socialisme traditionnel, le place en opposition avec ceux qui privilégient la conquête rapide du pouvoir, sans égard pour les circonstances. Selon lui, les bolcheviks, en concentrant leurs efforts sur la prise du pouvoir politique, ont trahi l’objectif de transformation sociale. Blum maintient alors une ligne modérée, critique des excès révolutionnaires, et ce, malgré les critiques émanant de divers courants de gauche.
L’alliance avec les radicaux et la SFIO dans les années 1920
Après la scission du Congrès de Tours, Léon Blum devient un pilier de la SFIO, renforçant son influence au sein du parti. Dès 1921, il prend la tête du groupe parlementaire socialiste, puis en devient le président, un poste qui lui permet de donner une voix à ses idées au Parlement. Durant cette période, il continue à défendre une ligne politique modérée, éloignée des extrêmes, et prône des alliances ponctuelles avec les radicaux, un parti de gauche républicaine, sur des sujets d’intérêt commun.
En 1924, la SFIO décide de soutenir sans y participer le gouvernement radical d’Édouard Herriot, une première dans l’histoire du parti. Ce soutien provoque de nombreuses réactions, aussi bien dans la presse que dans les cercles politiques. Le téléphone de Blum ne cesse de sonner, les réunions s’enchaînent, et même son épouse, Lise, devient « secrétaire intérimaire » pour l’aider à répondre à l’afflux de sollicitations. Malgré les fluctuations électorales, la SFIO ne souffre pas outre mesure de la rupture avec les communistes et parvient à conserver une base solide.
Logo de la Section française de l’Internationale ouvrière.
Les attaques personnelles et la campagne de 1929
Dans les années qui suivent, Blum est régulièrement la cible d’attaques personnelles. La presse de droite, notamment, le prend pour cible. En 1926, un article diffamatoire affirme qu’à l’occasion du mariage de son fils, Blum a envoyé des objets d’art et d’orfèvrerie valant des millions dans un « wagon plombé » en Suisse, et qu’il s’est exilé pour ne jamais revenir. Ces accusations infondées font partie d’une longue campagne de calomnies contre sa personne. En réponse, Blum publie un article ironique intitulé « Mon beau château », où il tourne en dérision les mensonges qui circulent à son sujet.
Léon Blum continue malgré tout son ascension politique. Battu en 1928 par le communiste Jacques Duclos lors des élections législatives dans la Seine, il doit patienter jusqu’à une élection partielle en 1929 pour retrouver un siège au Parlement. Cette fois, c’est à Narbonne, dans l’Aude, qu’il est élu après le décès du député Yvan Pélissier. Soutenu par la fédération locale, il triomphe face à Roger Gourgon, candidat radical et propriétaire viticulteur, qui mène une campagne acharnée en utilisant des arguments antisémites, le journal L’Éclair n’hésitant pas à qualifier Blum de « nouveau Juif errant ».
Malgré ces tensions, Blum est accueilli triomphalement à Narbonne, où il reçoit une ovation des militants socialistes réunis à l’hôtel de ville. Ce succès électoral renforce sa position au sein du parti et le replace au centre de la vie politique française, malgré les attaques incessantes de ses détracteurs.
La montée du fascisme et les dernières années avant le Front populaire
Au début des années 1930, la France, comme le reste du monde, est frappée de plein fouet par la crise économique. Cette période voit également la montée en puissance des mouvements d’extrême droite, qui dénoncent avec véhémence le régime parlementaire et appellent à une refonte autoritaire du pouvoir. La situation politique devient de plus en plus tendue, et Blum, toujours à la tête du groupe parlementaire socialiste, s’impose comme un opposant déterminé à ces dérives.
En février 1934, après une violente manifestation des ligues d’extrême droite dans les rues de Paris, Blum prend la parole pour soutenir le gouvernement Daladier, tout en précisant qu’il s’agit d’un « vote de combat » contre le fascisme montant. Quelques jours plus tard, le 12 février 1934, la SFIO appelle à une grande manifestation contre le fascisme. À la dernière minute, les communistes, qui se méfiaient jusqu’alors de toute alliance, décident de rejoindre la marche, marquant un premier rapprochement entre socialistes et communistes qui préfigure la future union du Front populaire.
Ces années marquent pour Blum une période de lutte intense, non seulement contre les forces réactionnaires qui tentent de déstabiliser la République, mais aussi contre les attaques personnelles de ses opposants. L’Humanité, le journal communiste, le surnomme « vieille servante de la bourgeoisie », tandis que Pierre Gaxotte, dans un accès de cruauté, le compare à « une jument palestinienne ». Pourtant, Blum reste fidèle à ses principes républicains, préparant discrètement le terrain pour l’alliance historique qui mènera à la formation du Front populaire en 1936.
Chapitre 3: la préparation du Front Populaire – L’union des forces de gauche
Rapprochement avec les communistes et émergence d’un front antifasciste
Dans les années qui précèdent la formation du Front populaire, deux grandes tendances se dessinent au sein de la gauche internationale face à la montée du fascisme. D’un côté, certains socialistes, notamment les Britanniques, Scandinaves et Tchèques, prônent une adaptation du socialisme aux classes moyennes. De l’autre, une aile plus à gauche, incluant l’Italie, la Suisse, la Belgique et surtout la France, milite pour une lutte prolétarienne et révolutionnaire afin de conquérir le pouvoir. Léon Blum, fidèle à sa ligne, cherche à concilier les intérêts des classes moyennes avec ceux de la classe ouvrière, estimant que leur collaboration pourrait constituer un rempart efficace contre le fascisme.
C’est dans ce contexte que débutent les premiers contacts entre la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) et le Parti communiste français (PCF) en juin 1934. Cette démarche constitue une étape décisive. Depuis la scission de Tours en 1920, les relations entre socialistes et communistes étaient rompues, mais face à la menace fasciste, les deux partis commencent à chercher un terrain d’entente. Ces négociations avancent rapidement, avec des concessions mutuelles, notamment du côté du PCF, poussé dans cette direction par l’Internationale communiste.
Le 27 juillet 1934, un premier accord est conclu entre la SFIO et le PCF. S’il ne vise pas directement les élections, cet accord est avant tout stratégique et symbolique. Il marque un engagement politique commun, inédit depuis la scission. Lors des élections cantonales d’octobre 1934, les deux partis, pour la première fois, acceptent le désistement réciproque, une pratique qui leur permet d’enregistrer des progrès significatifs, alors que le Parti radical, traditionnellement fort, perd du terrain.
La montée des tensions internationales et intérieures
Cependant, ce rapprochement avec les communistes n’est pas sans créer des tensions au sein de la SFIO. Blum doit composer avec une aile pacifiste, majoritairement ancrée dans le pacifisme de l’entre-deux-guerres, pour qui la paix demeure la priorité absolue, même face au fascisme. En 1935, au moment de la signature de l’alliance franco-soviétique, ces divisions s’accentuent. Les tenants de la paix et ceux prônant une guerre antifasciste s’affrontent, tandis que Blum s’efforce de trouver un équilibre entre ces deux courants.
Sur la scène nationale, la montée des ligues d’extrême droite, galvanisées par la crise économique et les scandales politiques, aggrave le climat politique. Les ligues fascistes, inspirées par le modèle italien et soutenues par une presse virulente, menacent de déstabiliser la République. Les événements du 6 février 1934, où une manifestation organisée par les ligues dégénère en violents affrontements avec la police, marquent un tournant décisif. Pour Blum et les socialistes, ces émeutes constituent un avertissement clair : il faut unir les forces républicaines pour préserver la démocratie.
Vers l’unité d’action et la mobilisation populaire
Cette montée des tensions n’entame pas la détermination des forces de gauche à s’unir. En 1935, l’idée d’unité d’action entre la SFIO, le PCF et les radicaux commence à germer. Les élections législatives de 1936 approchent, et la nécessité d’unir les voix de la gauche pour faire face à la menace fasciste devient pressante. À l’été 1935, un pacte d’unité d’action est signé, jetant les bases du Front populaire. Cette alliance repose sur un programme minimaliste mais ambitieux : défense de la démocratie, lutte contre le fascisme et réformes sociales en faveur des classes populaires. Blum, bien qu’hésitant face à certaines concessions aux radicaux, joue un rôle déterminant dans la constitution de cette coalition.
Les campagnes électorales de 1936 sont marquées par une ferveur populaire sans précédent. Le Front populaire, sous la bannière « Pain, paix, liberté », capte l’enthousiasme des classes laborieuses, fatiguées des années de crise économique et de répression politique. Blum, devenu le chef de file de cette alliance, incarne désormais l’espoir d’un changement pacifique et social, face à un monde qui sombre de plus en plus dans le chaos.
La vague d’antisémitisme et l’agression de février 1936
La montée du fascisme, conjuguée à l’antisémitisme croissant, atteint son paroxysme le 13 février 1936. Alors que Léon Blum rentre chez lui en compagnie de Georges Monnet, sa voiture est attaquée par des Camelots du roi et des membres de l’Action française, ligue royaliste d’extrême droite. Les assaillants, reconnaissant Blum, lancent des cris appelant à son exécution : « À mort Blum ! » et « Au poteau ! ». Sauvagement frappé à la tête, Blum est secouru de justesse par des ouvriers.
Cette agression déclenche une onde de choc dans le pays. Les ligueurs royalistes, qui espéraient semer la terreur et affaiblir Blum, obtiennent le résultat inverse. Le gouvernement Sarraut ordonne immédiatement la dissolution de la Ligue d’Action française et de ses groupes affiliés. Le 16 février 1936, une manifestation de soutien à Blum rassemble 250 000 personnes entre le Panthéon et la place de la Nation. Cet événement marque un tournant : la gauche est désormais unie non seulement contre le fascisme, mais aussi autour de la figure de Blum, victime d’une haine antisémite qui scandalise une grande partie de l’opinion publique.
La consolidation de l’union des gauches
Au-delà de l’émotion suscitée par l’agression de Blum, les efforts pour unifier la gauche se poursuivent en vue des élections législatives de 1936. À l’été 1935, la SFIO, le PCF et les radicaux signent un pacte d’unité d’action, jetant les bases du Front populaire. Cette alliance repose sur un programme minimaliste mais ambitieux : défense de la démocratie, lutte contre le fascisme, et réformes sociales en faveur des classes populaires. Blum, bien qu’hésitant face à certaines concessions aux radicaux, joue un rôle déterminant dans la constitution de cette coalition.
Les campagnes électorales de 1936 sont marquées par une ferveur populaire sans précédent. Le Front populaire, sous la bannière « Pain, paix, liberté », capte l’enthousiasme des classes laborieuses, fatiguées des années de crise économique et de répression politique. Blum, devenu le chef de file de cette alliance, incarne désormais l’espoir d’un changement pacifique et social, face à un monde qui sombre de plus en plus dans le chaos.
Le Front populaire se prépare à prendre le pouvoir. Les élections approchent, et avec elles, l’espoir de voir triompher un gouvernement qui promet de combattre le fascisme tout en apportant des réformes sociales majeures pour la classe ouvrière.
Chapitre 4: les années du Front Populaire et l’ombre de la Guerre (1936-1939)
Le Front Populaire : Un Espoir de Renouveau
Au milieu des années 1930, la France est profondément divisée. La crise économique mondiale frappe durement le pays, exacerbe les tensions sociales et donne naissance à un climat politique explosif. Le paysage politique français est secoué par la montée des ligues d’extrême-droite, des scandales financiers, et un sentiment croissant d’instabilité. Dans ce contexte de désillusion, un nouvel espoir se dessine : le Front Populaire. Ce mouvement, fondé sur une coalition entre les socialistes (SFIO), les communistes (PCF), et les radicaux, porte un message de justice sociale et de lutte contre la montée des fascismes en Europe.
Le 3 mai 1936, les élections législatives placent Léon Blum, chef de la SFIO, à la tête d’un gouvernement de coalition. Blum, élu président du Conseil, devient alors le symbole de cette gauche unie, porteuse des aspirations de la classe ouvrière. Les espoirs sont immenses, mais le chemin s’annonce semé d’embûches. Pour Blum, c’est l’occasion d’incarner la réalisation des rêves socialistes, mais aussi le début d’une période marquée par des luttes acharnées et des renoncements douloureux.
Les Réformes Sociales : L’Effervescence des Premiers Mois
Dès la victoire électorale du Front Populaire, une vague d’enthousiasme balaie le pays. Les ouvriers, encouragés par l’espoir de changements profonds, se lancent dans un vaste mouvement de grèves. Plus de 2 millions de travailleurs se mettent en grève, occupent les usines et revendiquent des réformes pour améliorer leurs conditions de travail. La France vit alors une situation inédite : ces grèves sont pacifiques, conviviales, parfois même festives. Cette pression populaire mène à des négociations décisives entre syndicats et patrons.
En juin 1936, les fameux Accords de Matignon sont signés. Ils constituent une victoire historique pour les travailleurs. Pour la première fois, les salariés obtiennent des avancées sociales majeures : l’instauration des congés payés, la réduction de la durée du travail à 40 heures par semaine, et des augmentations salariales significatives. Ces acquis révolutionnent le quotidien de millions de Français qui peuvent enfin profiter de loisirs et d’un temps de repos bien mérité. Les « congés payés » symbolisent cette époque de réformes sociales sans précédent.
Léon Blum : Le Leader Face aux Défis
Léon Blum, homme de conviction et de dialogue, incarne ce renouveau politique. À la Chambre des députés, il fait preuve d’une rigueur morale et d’un sens aigu des responsabilités. Il choisit de ne pas occuper de fonction ministérielle spécifique pour se concentrer pleinement sur la direction de son gouvernement. Pour lui, le Front Populaire n’est pas seulement un programme, c’est un projet de société, un rêve d’émancipation et de justice sociale.
Blum prend également une décision symbolique en intégrant des femmes au gouvernement, malgré le fait qu’elles n’ont pas encore obtenu le droit de vote en France. Cécile Brunschvicg, sous-secrétaire d’État à l’Éducation nationale, et Irène Joliot-Curie, sous-secrétaire d’État à la Recherche scientifique, illustrent cette avancée symbolique dans un pays encore marqué par un fort conservatisme. Cela démontre la volonté de Blum de pousser les frontières du progrès social, même si ces réformes restent limitées dans un cadre patriarcal persistant.
Les Dilemmes Internationaux : L’Espagne et l’Allemagne
Sur le plan international, les rêves de paix et de progrès sont rapidement ternis par la montée des tensions en Europe. En mars 1936, Adolf Hitler remilitarise la Rhénanie, violant ainsi le traité de Versailles. L’Allemagne nazie devient une menace directe pour la stabilité du continent. Quelques mois plus tard, en juillet, la guerre civile éclate en Espagne entre les républicains et les nationalistes de Franco.
Blum est alors confronté à un dilemme moral et politique déchirant : doit-il intervenir militairement pour soutenir les républicains espagnols, proches idéologiquement du Front Populaire, ou respecter une politique de non-intervention pour éviter d’exacerber les divisions en France et risquer un conflit avec les puissances fascistes ? Blum choisit la non-intervention, une décision qu’il prendra à contrecœur. Bien que certains membres de son gouvernement apportent clandestinement de l’aide aux républicains, cette position est perçue par beaucoup comme une trahison des idéaux du Front Populaire.
La Vague de Haine et les Attaques Antisémites
Sur le plan international, les rêves de paix et de progrès sont rapidement ternis par la montée des tensions en Europe. En mars 1936, Adolf Hitler remilitarise la Rhénanie, violant ainsi le traité de Versailles. L’Allemagne nazie devient une menace directe pour la stabilité du continent. Quelques mois plus tard, en juillet, la guerre civile éclate en Espagne entre les républicains et les nationalistes de Franco.
Blum est alors confronté à un dilemme moral et politique déchirant : doit-il intervenir militairement pour soutenir les républicains espagnols, proches idéologiquement du Front Populaire, ou respecter une politique de non-intervention pour éviter d’exacerber les divisions en France et risquer un conflit avec les puissances fascistes ? Blum choisit la non-intervention, une décision qu’il prendra à contrecœur. Bien que certains membres de son gouvernement apportent clandestinement de l’aide aux républicains, cette position est perçue par beaucoup comme une trahison des idéaux du Front Populaire.
Le Tournant de 1937 : Crise et Déclin
L’euphorie des premières réformes laisse peu à peu place à la désillusion. L’été 1937 marque un tournant décisif pour le gouvernement Blum. La crise économique persiste, la dévaluation du franc crée des tensions, et les désaccords internes au sein de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) fragilisent encore davantage son autorité. Blum se rend compte qu’il est impossible de mener de front un programme de réformes sociales ambitieux tout en répondant à la nécessité de réarmer la France face à la montée des périls en Europe.
En juin 1937, épuisé et conscient de l’impasse dans laquelle il se trouve, Blum présente sa démission. Son gouvernement est remplacé par celui de Camille Chautemps, un modéré, ce qui met un terme à l’expérience du Front Populaire, un chapitre pourtant essentiel de l’histoire politique française.
L’Ombre de la Guerre et les Derniers Espoirs
La période du Front Populaire s’achève, mais l’ombre de la guerre continue de s’étendre sur la France. En mars 1937, la fusillade de Clichy, qui voit des affrontements violents entre des militants d’extrême droite et la police, marque un nouveau point de rupture. Le gouvernement Blum, déjà affaibli, est accusé de laisser les tensions sociales dégénérer. Dans les rues et dans la presse, Blum est la cible de menaces et d’insultes. Pourtant, il refuse de céder à cette violence, espérant toujours une réconciliation nationale.
À l’aube de la Seconde Guerre mondiale, Blum est un homme désabusé mais non résigné. Malgré l’échec apparent du Front Populaire, il ne renoncera jamais à ses idéaux. L’histoire retiendra de lui un homme de conviction, qui, malgré les obstacles et les renoncements, aura marqué durablement la politique française par sa vision d’une société plus juste.
Chapitre 5 : Léon Blum et la Seconde Guerre mondiale – Résistance, Procès et Détention
Opposition au pacte germano-soviétique et tensions internes à la SFIO
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Léon Blum s’oppose fermement au pacte germano-soviétique signé en août 1939. Cet accord entre l’Allemagne nazie et l’Union soviétique, qui prévoit le partage de la Pologne et une coopération économique et militaire, est un coup de tonnerre pour les socialistes et les communistes européens. Le Parti communiste français (PCF), fidèle à la ligne de Moscou, adopte une posture ambiguë face à ce pacte. Blum, profondément attaché aux valeurs démocratiques et à la lutte contre le fascisme, dénonce vivement cette trahison des idéaux antifascistes, ce qui provoque une scission au sein de la gauche française.
Certains militants communistes, écoeurés par l’attitude de leur parti, quittent le PCF pour rejoindre la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO). Ce transfert, bien qu’avalé par Blum, crée de nouvelles tensions internes au sein du parti. Des figures importantes du socialisme français, comme Paul Faure, critiquent ouvertement la position de Blum, qu’ils jugent trop belliciste et pas assez pacifiste. Ce conflit interne fragilise la SFIO au moment où la France s’enfonce dans la tourmente de la guerre.
La débâcle de 1940 : De Paris à Bordeaux, l’incompréhension face à Pétain
En juin 1940, alors que la France est envahie par les troupes allemandes, la défaite semble inéluctable. Le 9 juin, Léon Blum et sa famille se réfugient à Montluçon, où il retrouve Marx Dormoy, maire de la ville et proche camarade. Ensemble, ils décident de retourner à Paris le 11 juin, croyant que le gouvernement de Paul Reynaud est encore présent dans la capitale. À leur arrivée, ils constatent avec stupeur l’absence totale de membres du gouvernement et une atmosphère de désarroi général. La Chambre des députés est déserte, le pouvoir semble s’être évaporé.
Ils retournent à Montluçon, avant d’apprendre que le gouvernement a fui à Bordeaux pour échapper à l’avance allemande. Dans la nuit du 14 au 15 juin, Blum et Dormoy se lancent dans un exode périlleux pour rejoindre Bordeaux. Le 15 juin, Blum découvre avec consternation l’attitude capitularde de Philippe Pétain, qu’il avait auparavant respecté pour ses convictions républicaines. L’ascension du Maréchal à la tête de l’État et son discours du 20 juin, dans lequel il fait du Front populaire le bouc émissaire de la défaite française, bouleversent profondément Blum.
Bien que désillusionné, Blum accepte que deux membres de la SFIO, Albert Rivière et André Février, rejoignent le gouvernement de Pétain. Mais il perd rapidement toute illusion concernant la sincérité du Maréchal, qui entreprend de démanteler les institutions démocratiques et de préparer une collaboration active avec l’Allemagne nazie.
Le vote contre les pleins pouvoirs et l’isolement politique
Le 10 juillet 1940, Léon Blum se rend à Vichy pour assister au vote des pleins pouvoirs à Philippe Pétain, une décision qui signe la fin de la IIIe République. Face à une assemblée largement acquise à la cause du Maréchal, Blum est l’un des quatre-vingts parlementaires qui votent contre cette abdication de la démocratie. Parmi eux se trouvent d’autres socialistes comme Vincent Auriol, mais aussi des centristes et des conservateurs républicains qui refusent de voir la République mourir.
Blum est profondément affecté par la défection de nombreux socialistes qui se rallient à Pétain, influencés par la peur et le pacifisme ambiant. Il décrit ces jours de Vichy comme un spectacle d’hommes politiques « s’altérant » et « se corrompant », dévorés par la peur des Allemands et des factions violentes comme celle de Jacques Doriot. Pourtant, malgré son opposition ouverte, Blum reste prudent : il choisit de ne pas prendre la parole pour éviter d’entraîner une fracture publique au sein de la SFIO, déjà affaiblie.
L’arrestation et la résistance morale en détention
Après le vote de Vichy, Léon Blum retourne à Colomiers, près de Toulouse, où il est accueilli par son ami Eugène Montel. La situation se détériore rapidement pour les opposants au régime de Vichy. Le 15 septembre 1940, Blum est arrêté malgré son immunité parlementaire. Il est interné au château de Chazeron, puis transféré en novembre au château de Bourassol, dans le Puy-de-Dôme. Ce lieu de détention devient rapidement un centre de ralliement pour les socialistes résistants, comme Jean Pierre-Bloch et André Philip, qui viennent rendre visite à l’ancien Premier ministre.
Blum, bien que prisonnier, continue de jouer un rôle crucial dans l’organisation de la résistance morale. Il rédige des lettres, discute avec ses camarades, les exhortant à résister à la collaboration et à ne jamais abandonner les principes républicains. Sa correspondance, soigneusement surveillée par le régime de Vichy, devient une source d’inspiration pour de nombreux militants de la Résistance.
Le procès de Riom : La tentative avortée de Vichy de faire un exemple
Après le vote de Vichy, Léon Blum retourne à Colomiers, près de Toulouse, où il est accueilli par son ami Eugène Montel. La situation se détériore rapidement pour les opposants au régime de Vichy. Le 15 septembre 1940, Blum est arrêté malgré son immunité parlementaire. Il est interné au château de Chazeron, puis transféré en novembre au château de Bourassol, dans le Puy-de-Dôme. Ce lieu de détention devient rapidement un centre de ralliement pour les socialistes résistants, comme Jean Pierre-Bloch et André Philip, qui viennent rendre visite à l’ancien Premier ministre.
Blum, bien que prisonnier, continue de jouer un rôle crucial dans l’organisation de la résistance morale. Il rédige des lettres, discute avec ses camarades, les exhortant à résister à la collaboration et à ne jamais abandonner les principes républicains. Sa correspondance, soigneusement surveillée par le régime de Vichy, devient une source d’inspiration pour de nombreux militants de la Résistance.
La déportation à Buchenwald et la libération par les Alliés
Le 31 mars 1943, Blum est transféré par les Allemands au camp de concentration de Buchenwald, non pas dans les baraquements du camp, mais dans des maisons en périphérie réservées aux « otages d’État ». Parmi les autres détenus politiques figurent Georges Mandel et d’autres personnalités du régime républicain déchu. Bien que les conditions de détention soient dures, elles sont loin d’être comparables à celles des prisonniers du camp principal.
En octobre 1943, Blum reçoit l’autorisation exceptionnelle d’épouser Jeanne Levylier, qui a bravé tous les dangers pour le rejoindre à Buchenwald. Ce mariage, en pleine guerre, symbolise un dernier acte de résistance personnelle et de fidélité à la vie et à l’amour, malgré les ténèbres environnantes.
Léon Blum reste interné à Buchenwald jusqu’en avril 1945. Alors que la guerre touche à sa fin, les SS décident d’évacuer les prisonniers les plus importants vers le Tyrol du Sud. Le 30 avril 1945, ils sont libérés par un général de la Wehrmacht qui désarme les SS, avant d’être pris en charge par les partisans italiens et les troupes américaines. Blum et sa femme sont transférés à Naples, où ils retrouvent la liberté après des années d’épreuves.
Le retour en France et le refus du ministère
À son retour en France, Léon Blum retrouve rapidement une place de premier plan dans la vie politique française. Bien qu’il soit cité comme témoin lors du procès de Pétain en juillet 1945, où il décrit la décomposition morale qu’il avait observée à Vichy, Blum refuse catégoriquement de participer à un gouvernement. De Gaulle lui propose un poste de ministre, mais l’ancien dirigeant socialiste préfère se consacrer à l’écriture et à la réflexion.
Blum reprend son poste d’éditorialiste au journal Le Populaire, où il publie des articles quotidiens, continuant d’inspirer la gauche française de l’après-guerre. Ses écrits, marqués par l’expérience de la guerre et de la déportation, seront rassemblés dans un ouvrage intitulé À l’échelle humaine, qu’il termine en décembre 1944.
Chapitre final : L’après-guerre et la fin de la vie de Léon Blum
Le retour à la politique après la guerre
Après la Seconde Guerre mondiale, Léon Blum, affaibli physiquement mais déterminé à reprendre son engagement politique, retrouve un rôle de premier plan. Dès la Libération, il est appelé à représenter la France sur la scène internationale. Il est notamment chargé de conduire la délégation française lors de la conférence constitutive de l’UNESCO, organisée en novembre 1945 à Londres. Sa nomination symbolise la volonté de la France de jouer un rôle actif dans la reconstruction culturelle et intellectuelle de l’Europe après les horreurs de la guerre.
Mais c’est surtout à travers les négociations financières avec les États-Unis que Blum marquera la période d’après-guerre. En mai 1946, il négocie avec James F. Byrnes, le secrétaire d’État américain, ce qui deviendra l’accord Blum-Byrnes. Cet accord aboutit à l’annulation partielle des dettes de guerre françaises et à la révision des modalités des prêts américains, permettant ainsi à la France de reprendre sa reconstruction économique. Cependant, cet accord a aussi une conséquence culturelle controversée : il ouvre grandement le marché français à l’industrie cinématographique américaine, facilitant la diffusion massive des films hollywoodiens dans les salles françaises, ce qui suscite des débats sur l’influence culturelle américaine.
Le gouvernement de la Saint-Sylvestre
En décembre 1946, après l’élection de la nouvelle Assemblée nationale constituante, Vincent Auriol, alors président de la Chambre et futur président de la République, sollicite Léon Blum pour former un gouvernement provisoire. Ce gouvernement, qui ne dure qu’un mois, est composé uniquement de socialistes, ce qui en fait un cabinet d’exception. Durant cette courte période, Blum joue un rôle décisif dans les négociations pour le traité de Dunkerque, signé en mars 1947 entre la France et le Royaume-Uni. Ce traité d’alliance franco-britannique sera la première pierre de la construction d’une stratégie européenne de défense, prélude à la formation de ce qui deviendra l’OTAN en 1949.
Ce gouvernement, appelé « gouvernement de la Saint-Sylvestre » (ou troisième gouvernement Léon Blum) pour sa durée éphémère, n’aura pas de longévité, mais il marque l’implication de Blum dans la transition de la France vers la IVe République. Sa capacité à rassembler, malgré son état de santé déclinant, témoigne de son influence politique durable.
Fin de carrière et dernières actions politiques
Léon Blum continue d’exercer une influence politique jusqu’à la fin de sa vie, bien qu’il ne soit plus en première ligne des décisions gouvernementales. En 1947, après la démission du gouvernement Paul Ramadier, le président Vincent Auriol lui propose de former un nouveau cabinet. Cependant, Blum, désormais affaibli et confronté à une forte opposition, ne parvient pas à obtenir l’investiture de l’Assemblée nationale, et c’est finalement Robert Schuman qui prendra la tête du gouvernement.
Malgré cette défaite, Léon Blum reste actif politiquement, notamment au sein du journal Le Populaire, où il continue de s’exprimer sur les grands enjeux de son époque. Il se prononce, par exemple, en faveur de la négociation avec le Việt Minh, se distinguant ainsi des positions plus bellicistes adoptées par le gouvernement français dans la guerre d’Indochine.
Il est également appelé à témoigner lors du procès de la Cagoule, une organisation clandestine d’extrême droite, en 1948, où il dénonce les actions violentes de ce groupe qui avait tenté de déstabiliser la République dans les années 1930.
Retraite et mort à Jouy-en-Josas
En 1948, Léon Blum se retire dans sa propriété de Jouy-en-Josas, non loin de Versailles. Sa santé déclinant, il cesse progressivement toute activité publique. Cependant, même durant cette période de retraite, Blum continue d’écrire, fidèle à ses engagements politiques et intellectuels. Il garde notamment un œil critique sur la montée en puissance du RPF, le parti gaulliste, qu’il considère comme une menace pour le régime parlementaire.
Le 30 mars 1950, Léon Blum meurt d’un infarctus dans sa maison de Jouy-en-Josas, à l’âge de 77 ans. Sa disparition marque la fin d’une époque pour la gauche française, mais aussi pour la République, dont il fut un ardent défenseur tout au long de sa vie.
Les obsèques de Léon Blum, organisées le 2 avril 1950, sont l’occasion d’un hommage national à celui qui aura marqué profondément la politique française. La cérémonie se déroule sur la place de la Concorde, à Paris, en présence de nombreuses personnalités politiques et intellectuelles. Vincent Auriol, Daniel Mayer, Guy Mollet, Yvon Delbos et Louis de Brouckère prononcent des éloges funèbres à la mémoire de Blum, rappelant ses contributions indélébiles à la République, au socialisme et à la justice.
Léon Blum repose désormais dans le cimetière de Jouy-en-Josas, où sa tombe continue d’attirer les hommages de ceux qui admirent son combat pour la justice sociale, la liberté et la paix.
Conclusion
Une vie dédiée à la justice et à l’humanité
La vie de Léon Blum est celle d’un homme de conviction, profondément engagé dans le combat pour la justice sociale et la démocratie. Il fut, à travers ses multiples responsabilités, un acteur majeur des grandes transformations politiques et sociales de la France du XXe siècle. Dirigeant du Front populaire, défenseur acharné des droits des travailleurs, mais aussi résistant face à l’antisémitisme et aux violences de l’extrême droite, Blum a su incarner une vision progressiste et humaniste de la République.
Son combat ne s’est jamais limité à la sphère nationale : en tant qu’internationaliste, il œuvra également pour l’établissement de relations pacifiques entre les nations, participant à la fondation de l’UNESCO et jetant les bases d’une alliance franco-britannique qui préfigurait les efforts européens de coopération.
Malgré les attaques dont il fut la cible tout au long de sa carrière, notamment en raison de son identité juive, Blum ne renonça jamais à ses principes ni à son idéal de justice. Jusqu’à la fin de sa vie, il s’engagea pour un socialisme démocratique, fidèle à ses valeurs, sans jamais succomber aux pressions ou aux compromis faciles.
Aujourd’hui, l’héritage de Léon Blum demeure essentiel. Il nous rappelle l’importance de la solidarité, de l’engagement politique et de la défense inébranlable des droits humains. Sa vie et son œuvre continuent d’inspirer celles et ceux qui, comme lui, croient en un monde plus juste et plus égalitaire.
Léon Blum – Repères biographiques
9 avril 1872 : Naissance de Léon Blum à Paris, dans une famille juive aisée.
1895 : Diplômé de l’École Normale Supérieure et devient avocat au barreau de Paris.
1897 : Devient critique littéraire et théâtral, notamment dans la revue La Revue Blanche, où il s’engage dans le soutien à l’affaire Dreyfus.
1919 : Élu député de la Seine à la Chambre des députés, représentant le Parti Socialiste.
1920 : Prend la tête de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) après la scission du congrès de Tours.
1936 : Devient président du Conseil, formant le premier gouvernement de Front populaire, qui met en place des réformes sociales majeures, comme les congés payés et la semaine de 40 heures.
1938 : Devient président du Conseil une seconde fois mais échoue à maintenir une coalition gouvernementale forte.
1940 : Arrêté par le régime de Vichy, il est accusé de la défaite française lors du procès de Riom, où il se défend avec éloquence.
1943 : Déporté par les nazis à Buchenwald avec d’autres responsables politiques.
1945 : Libéré à la fin de la guerre, il rentre en France et retrouve une place prépondérante dans la vie politique.
1946 : Devient chef du gouvernement dit « de la Saint-Sylvestre », assurant la transition vers la IVe République et négociant le traité d’alliance franco-britannique de Dunkerque.
30 mars 1950 : Décès à Jouy-en-Josas, à l’âge de 77 ans.
VIDÉO :
Équipe Récit et production de Philippe Collin Réalisation : Violaine Bellet Lecture : Charles Berling et Bérangère Var Luzel Assistance éditoriale : Irène Menahem Documentation sonore : Frédéric Martin et Romain Couturier Mixage : Benjamin Orgeret
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