Humanité(s)-Vers une culture de la rencontre

HUMANITÉ(S)

HEOL – Astre en fuite vers le mystère

par | Juin 22, 2023 | Portraits | 0 commentaires

Astre en fuite vers le mystère

 

Cet artiste breton, qui peint au gré des vibrations de son corps, veut donner plus de profondeur à son art et, peut-être, irradier nos mémoires.

Texte Guilhem Dargnies – Photos Steve Lauper

Aux premiers beaux jours de l’année dernière, me voilà installé à la terrasse d’une brasserie dans le quartier des Abbesses, à Paris. J’ai les yeux plongés dans un roman et le palais plein d’un goût de café râpeux. Deux types s’asseyent à côté de moi et se mettent bientôt à fumer. Ça me gêne. Légère altercation dont je suis incapable de restituer le déroulé exact. L’homme à ma gauche perçoit mon irritation, « ça vous dérange ? » – « Heu… ouais ». Ou bien c’est moi qui, les regardant tour à tour dans les yeux, retiens un rire nerveux, « Désolé les gars, la fumée de cigarette, j’ai vraiment du mal ! » « Ah ok. Bah, je vais la tenir de l’autre main, alors ! »

Ce n’était pas un prétexte à la discussion et cependant un échange s’en est suivi. Ces gars-là, j’ai voulu leur parler, ou plutôt qu’eux me parlent. Ils m’intriguaient. Deux grands blonds un peu plus âgés que moi, celui qui me faisait face était un peu plus petit de taille que l’autre et avait le visage plus rond, impossible de les décrire davantage tant le souvenir que j’ai d’eux est flou. Ce dont je me rappelle néanmoins, cette fois avec une netteté suspecte, c’est de les avoir enviés franchement, à cause de l’air de tranquillité qu’ils dégageaient qui m’a d’abord déconcerté. Qui donc étaient-ils, ces deux types-là ?

 

Des taches de peinture sur les mains

Celui assis à côté de moi, surtout, me faisait l’effet d’un Corto Maltese qui aurait reniflé l’humus plus souvent que l’iode. Je l’apprendrai par la suite, Heol – c’est son vrai prénom ; en breton, cela signifie « soleil » – a grandi dans le Finistère. À Morlaix, une ville tournée vers la terre si l’on en croit le tracé de la route nationale qui la contourne. Depuis, notre homme a quitté ce département qui ancre l’Hexagone dans l’Atlantique nord, mais il n’a pas abandonné l’intérieur des terres bretonnes… Ou plutôt il est y revenu, après quelques péripéties autour du monde.

Cette pensée me traverse l’esprit alors que me revient à la mémoire une image de cette toute première entrevue à la terrasse du quartier des Abbesses. Heol avait des taches de peinture sur les mains. Du bleu, du jaune, du rose, signes que lui-même et son collègue ne mentaient pas lorsqu’ils se sont présentés comme des artistes. Mais ce qui acheva de m’en convaincre, ce fut cette réplique de mon voisin de table : « Je peindrai jusqu’au bout. Jusqu’à ne plus pouvoir utiliser mes yeux pour voir les couleurs ».

Ça a jeté un trouble en moi. D’abord parce qu’en une seule phrase, il a exprimé clairement et sans hésitation pourquoi il vit ; moi, je cherche encore. Ensuite parce que je perçus aussitôt l’abîme qui me séparait de lui au sujet de la peinture, outre le fait que lui peignît et moi non. Car si ma sensibilité à l’art pictural n’est pas encore formée, la sienne m’a d’emblée paru vibrer à un point que mon imagination peinait à concevoir.

Si ma perception d’Heol se révélait conforme à la réalité, cela faisait de lui, à mes yeux, un être à part. Un peu comme s’il détenait une clé que je n’ai jamais possédée, celle des surfaces planes où un être humain a exprimé ou tenté d’exprimer ce qu’il ressent. J’entrevis soudain une possibilité inédite pour moi. Par son intermédiaire, je pourrais peut-être explorer d’autres univers spirituels que le seul pan d’intériorité où me tenait reclus presque jusque-là la dimension religieuse de mon existence. Mais les mots de ce questionnement sont venus avec le temps tandis que, sur le moment, prédominait mon étonnement : ce pouvait-il que j’aie affaire à un homme heureux ? Vraiment heureux, je veux dire…

Une rue de Montmartre

Fantôme sur les toits de Paris

Interloqué, je lui adressai donc mille questions, sans parvenir à les formuler autrement que par le regard. De quelles couleurs tu parles ? Qu’est-ce qu’elles te font, ces couleurs ? Ça te fait quoi de les étaler sur la toile ? Si tu ne pouvais plus voir, qu’est-ce qu’il se passerait ? … Raconte-moi. Raconte-moi tout. Mais comme on ne se connaissait pas et que je n’invite pas le premier venu à la confidence, je suis resté muet.

Il était temps pour Heol et son camarade de se mettre en route. Les deux hommes ont payé leurs consommations, m’ont salué et je les ai vus s’éloigner en direction, j’imagine, d’une camionnette ou d’un entrepôt à la recherche de quelques pots de couleur à hisser sur le toit d’un immeuble du XVIIIème arrondissement de la capitale. Une nouvelle séance de peinture murale les attendait. Une de plus pour eux. Et pour moi… une première qui n’a pas eu lieu. J’aurais certainement accepté de les suivre s’ils me l’avaient proposé. Ce baptême de la couleur, je n’ai pas osé le demander !

Plus tard, sur les réseaux sociaux, j’ai vu une photo du travail que les deux peintres effectuèrent cet après-midi-là. Ils avaient recouvert de leur art un pignon, « Fantôme sur les toits de Paris. Avec le peintre Oji. Rue Lepic ». Sur le plâtre, au sommet d’un immeuble de la colline de Montmartre, ils avaient représenté une colonne d’ouvriers agricoles vus de profil traçant un sillon au milieu d’une sorte de champ de maïs. Ces teintes d’ocre, de bleus et de mauve, étalées sur l’enduit, c’était un peu comme un feu d’artifice en plein jour. Je n’avais pas soif et pourtant j’ai été désaltéré.

C’est donc un fait : les couleurs ont le pouvoir d’estomper mes brumes intérieures. Momentanément, du moins. Car pour moi qui savoure en spectateur la fresque murale photographiée, ça ne dure qu’un instant. Qu’en est-il pour ses créateurs ? Heol est-il l’homme comblé que j’imagine ?

Avec cette question dans un coin de la tête, j’ai voulu recontacter le peintre croisé aux Abbesses, plusieurs mois plus tard. Entretemps, le projet Humanité(s) avait démarré. Et des quelques peintres dont j’avais pu croiser la route, Heol était le seul à mes yeux à faire à ce point la part belle dans son travail à ce qu’il ressent. « Jusqu’à ne plus pouvoir utiliser mes yeux pour voir les couleurs », avait-il dit. Au-delà des mots, le ton passionné qu’il employa pour le dire m’avait instantanément mis sur cette piste : chez Heol, le cerveau lâche la bride aux tripes qui commandent au pinceau.

Féérie en noir et blanc

À cause de cette dimension charnelle, sans doute, j’ai eu toutes les peines à retrouver le contact de celui qui était alors pour moi le peintre des Abbesses. J’ai eu beau fouiller mes comptes en ligne, Instagram, Facebook, Messenger, rien n’y faisait… Plus de trace de cet artiste qui m’avait fait tant d’effet en une seule phrase. Les moteurs de recherche ne donnaient rien non plus. Je me rappelais bien avoir vu passer une fresque peinte avec les élèves d’une école primaire. Nouvelle requête en ligne. Toujours rien. Je désespérais au point de renoncer.

Lorsque la lumière jaillit. Je repris ma recherche, cette fois-ci avec un nouveau mot-clé. « Heol ». Immédiatement, je retrouvai les textos échangés avec l’artiste breton. Ouf ! Mes tentatives avaient échoué jusque-là parce que j’avais rajouté un « s » initial à son prénom. Sheol. « Terme hébraïque intraduisible désignant le séjour des morts, la tombe commune de l’humanité, le puits, sans vraiment pouvoir statuer s’il s’agit ou non d’un au-delà »1. D’où me vient que j’associe aux ténèbres et à la mort ce qui doit se jouer au niveau du corps ? Cette bizarrerie m’amuse autant qu’elle me stupéfie !Lorsque le peintre breton passe à Paris, la fois suivante, c’est pour un spectacle pour enfants, Naïko, qu’il donne avec trois de ses amis artistes. Une féérie en noir et blanc mêlant musique, dessin et décors de carton-pâte filmés en temps réel : le spectateur assiste au défilement d’images animées en train de se faire. Racontée sans paroles, l’histoire est celle d’une petite fille dont les jours paisibles à la campagne auprès de ses grands-parents sont bientôt troublés par des engins de chantier bruyants et pollueurs. Temps d’échange avec le public à la fin de la représentation. « Pourquoi les camions ils détruisent les arbres ? ». Et Heol de répondre sans filtre au bambin, quoiqu’avec ces mots choisis. « Bah tu sais, quelques fois, les hommes, ils croient bien faire en prenant dans la nature ce dont ils pensent avoir besoin pour vivre ! »

J’ai beaucoup aimé cette réponse à hauteur d’enfant qui me laisse l’impression, maintenant que j’y repense, qu’Heol parle comme il peint. Du dedans. De cette façon, il offrait à son très jeune interlocuteur une ouverture vers cet horizon de croissance où nos semblables ont la possibilité de se positionner face au monde. Si un jour je deviens papa, j’aimerais que ce souvenir inspire ma façon d’échanger avec le petit être qui pourrait être né de la femme que j’aime.

Sur le moment, néanmoins, je n’ai pu m’empêcher de rire intérieurement. Parce qu’Heol s’est exprimé avec… un dépit aussi inattendu que l’éclat d’une énorme bulle d’air à la surface d’une eau calme. Il n’a aucunement dissimulé ce sentiment et le garçonnet l’a certainement perçu. Ça a un peu rompu la poésie du spectacle, mais l’authenticité des adultes peut bien valoir la déception d’un enfant. Un bambin n’a-t-il pas droit, lui aussi, à ce qu’on lui dise ce que l’on sent et que l’on pense ? C’est drôle, quand même, parce que j’imagine le môme interloqué. Lui arracher des mains un cornet de glace, croquer dans la vanille et lui fourrer le nez dedans aurait eu le même effet !

1 Source: Wikipedia

Site de web des production « Artoutai »:

https://www.artoutai.com/portfolio_page/naiko/

Un dépit teinté d’amertume

Comme Naïko, la petite fille du spectacle, les êtres humains entendent quelques fois communier avec la nature et en rester là : ils n’apprécient pas qu’un événement bouscule leur insouciance. Alors quand leur naît un rejeton neuf mois plus tard, celui-ci les place malgré eux devant des responsabilités qu’ils n’ont pas vraiment choisies. Leur monde s’écroule. Ils se révèlent incapables d’embrasser, au creux de leur existence, cette dimension nouvelle et vertigineuse qui porte des couches, sourit, pleure, s’étonne ou s’émerveille et leur dit « papa », « maman ». Tel est ce qui dut arriver à un des acteurs des origines d’Heol. Le peintre a peu à peu compris cet aspect de la vie de son père à partir de ses 17 ans, lorsque les relations entre hommes et femmes ont cessé de lui paraître simples. « Il n’avait pas envie d’avoir un enfant. Donc… évidemment. Quand t’as pas envie, ça te fait chier, quand il sort, le machin ».

Depuis, le « machin » assure avoir « pardonné » à son géniteur. Il n’empêche. Quand Heol me parle de sa relation à ce père, à nouveau, je crois entendre… du dépit. Celui-là teinté, peut-être, d’un peu d’amertume. Ce mélange de sentiments paraît émerger d’une profondeur gutturale d’où put s’échapper autrefois de l’agressivité. Il reste que le père d’Heol ne s’est jamais vraiment intéressé à son fils. Et que, chez le fils, cette blessure demeure, quoique sans la vivacité d’autrefois.

Pourtant, même à me parler ainsi, le peintre semble disposer d’un baromètre intérieur dont l’aiguille pointe perpétuellement vers le beau temps. Rien à voir avec la haute pression atmosphérique des météorologues puisque la saison froide a pris de l’avance, à Hédée-Bazouges en Ille-et-Vilaine, quand Heol nous y reçoit chez lui. L’atelier du peintre n’est pas chauffé, on se les gèle avec nos habits d’hiver qui n’y font rien. Mais à elle seule, la conversation réhausse un peu la température.

Voilà deux heures qu’on discute Heol et moi, perchés sur sa mezzanine. Je l’écoute en plongeant de temps à autres les yeux vers le mur de béton dressé à une dizaine de mètres devant nous. Le peintre y réalise des œuvres éphémères. Ces derniers jours, c’était le profil d’une femme africaine aux contours violet et orange. Précédemment, une grosse tête de renard fluo, l’animal « totem » de sa fille, qui a fêté son anniversaire ici même, avec ses amis de l’école.

Heol dans son jardin:

Pain, bougie et bottes trouées

Ce qu’Heol aime, je le sens dans ce froid humide où les pinceaux ne sèchent jamais, c’est le contact physique avec la peinture. Quel qu’en soit le prix, pourvu qu’il soit l’occasion d’un partage – et qu’importe s’il faut pour cela endurer l’hiver breton. « Des fois, t’as juste envie d’aller peindre dans la rue tout seul un dimanche. Il pleut, ça caille, c’est cool. T’as ton petit thermos de café. Ton petit pétard et puis c’est parti, tu fais ton truc ». Il y a des joies d’artiste que l’on n’éprouve qu’avec le corps.

Aussi, ce qui s’écrit ou se dit sur l’art, bien souvent, l’agace un peu. Quand les spécialistes parlent d’une période donnée – mettons la Renaissance – il arrive à Heol de se demander ce que ces érudits s’imaginent : d’après eux, que se passait-il concrètement, pour le peintre, lors de la réalisation de la toile ? « Souvent, on va parler de la structure du tableau, des couleurs. Mais le mec, putain, quelques fois, il est pas du tout dans ce truc-là ! En plein hiver, ça caille. Il porte des bottes trouées, il bosse à la bougie. Il bouffe du pain ! […] Et là, tu sens la passion du mec… »

Et la sienne ? Car le sentier des passionnés, Heol l’a emprunté depuis longtemps. Il choisit la vie d’artiste très jeune, dès qu’il perçut comme fort enviable le mode de vie de son père et de sa mère, artistes eux-mêmes, comparé à celui des parents de ses camarades de classe. Du monde à la maison, toujours, des échanges en veux-tu en voilà, et ça riait !

Avant la virée à Barcelone à 22 ans où il découvrit ces fresques gigantesques dont il a encore des frissons, il y eut, en Bretagne, les premières fois où il se produisit en live. C’était l’été, pendant les concerts de rock donnés par un ami guitariste et son groupe, lors des festivals. « La peinture, c’est pas un art où tu peins dans ton atelier, et où personne te voit. Ça doit être un art vivant », se dit-il alors. Moi : « Qu’est-ce qui te permet de le sentir ? – Bah, la musique ! – La musique ? – Ouais, peindre en musique. Tu peins en musique, ça te donne de l’énergie. Tu vois ? Tu rentres dans une trans. La peinture permet déjà cela. Mais la musique, elle en rajoute une couche ». Voilà le sillon creusé par Heol : la peinture conçue comme un spectacle rythmé qui en met plein la vue.

 

Avant et après le dernier coup de pinceau

Paradoxalement, ça le fait parfois un peu soupirer. Certes, il est un créateur heureux : il gagne bien sa vie et chaque commande est pour lui un vrai rendez-vous avec son art dont il n’est pas prêt de se lasser. Pour autant, quelque chose le tracasse. L’artiste qu’il est ne se sent pas comblé tant que se dressera devant lui ce rempart végétal un peu effrayant pour qui craint les épines. Pour le franchir, il lui faut ni plus ni moins dépasser une caractéristique majeure de son art : au fond, Heol souhaite que l’éphémère laisse la place à quelque chose qui dure.

D’où l’idée de jouer sur ce qui se passe après le coup de pinceau final. En tentant de conserver sa production. Il dit cela en admettant que ses réalisations diverses – sur des châteaux d’eau, sur le mur d’une usine abandonnée – ne résisteront pas aux caprices du temps et de la météo. « Tout ce que je fais, ça s’évapore tranquillement ». Heol s’en fait une raison. Après tout, tant que quelqu’un est là pour voir l’œuvre en train de se faire, ça ne le dérange « pas trop ».

Mais l’idée de garder une trace physique de son travail le poursuit tout de même. Au point qu’il ait pu imaginer acheter des « kilomètres » de toile pour les « agrafer » sur son mur, peindre dessus et « enrouler » le tout. Pour stocker tout ce qui peut l’être et le « balancer sur les ponts, l’étendre entre deux arbres ou sur une façade d’immeuble pour une expo ». Irréalisable. Trop cher. Quant à photographier son travail, il y a songé aussi, mais quelqu’un qui a le goût de la matière peut-il se satisfaire de couleurs numérisées ? Il reste un recours : réduire la taille des toiles. Il peint déjà sur de petits formats. Mais je doute qu’il s’en contente : à la longue, il me semble qu’Heol s’ennuierait.

D’où l’idée de jouer, aussi, sur ce qui se passe avant le dernier coup de pinceau. Dans cet esprit, une autre façon de faire durer l’œuvre est d’en prolonger le temps de préparation. Par exemple, « regarder un paysage pendant dix ans » sans jamais s’approcher du support à peindre ; et rentrer chez soi le faire en un trait ». Ce qui n’empêche pas que les œuvres, une fois finies, restent également plus longtemps sous les yeux du spectateur. Ce dernier quitterait la fulgurance du spectacle – qui au mieux ne dure que quelques heures – pour l’approfondissement d’un mystère qui, lui, peut ne jamais s’achever. Voilà ce qu’Heol appelle « entrer dans la profondeur ».

Ce que ça procure de balancer une couleur

Je confirme donc ma toute première impression : Heol, je le vois heureux, vraiment heureux. Mais cet état demeure comme constitué de flaques de félicité – le peintre y saute de l’une à l’autre à pieds joints. À chaque nouvelle commande, il mobilise à nouveau ce qu’il ressent et peint en conséquence. Mais, il voudrait désormais ne jamais cesser d’atterrir après le prochain saut, que la prochaine flaque devienne une vaste et profonde mer intérieure, et son travail davantage le fruit d’un mûrissement. Quand il laisse son imagination vagabonder par-là, il entrevoit une toile immense dont la composition fourmillerait de détails et de personnages. Et tout partirait d’un point, comme jadis avec les maîtres de la perspective. Lequel représenterait… sa naissance.

Comme sa carrière est tout orientée vers l’éphémère, peut-être qu’Heol s’estime confronté à l’apparente impossibilité de mettre en œuvre ce à quoi il aspire désormais : transmettre ?

Si tel est le cas, que le peintre breton se rassure. Il transmet déjà. Je lui avouai une nouvelle fois la vive curiosité que suscita en moi la simple évocation de son désir de peindre tant qu’il aurait des yeux pour voir. « Toi, par exemple, tu ne fais pas de peinture ? », m’a-t-il alors demandé. « Nan – Donc tu ne sais pas ce que ça procure de balancer une couleur sur un support, que ta main soit reliée à ton cerveau, et que tu lâches cette couleur-là ». Et là, quand il dit « couleur », ça désigne un demi-litre de peinture liquide. Il décrit ensuite l’effet de ce qu’il appelle le « splash », lorsque la couleur liquide projetée par l’artiste vient s’écraser contre le mur : « Ça te fait forcément une vibration. Un peu comme un son. Ça crée un lien avec autre chose que toi. Et pourtant, ça rentre en toi. Tu vois ? » Non, je ne voyais pas.

Enfin. Disons plutôt que je pouvais bien saisir quelque chose par l’intelligence, mais le corps était absent. Je ne ressentais pas.

Jusqu’à ce que je me retrouve au rez-de-chaussée de l’atelier d’Heol, jambes fléchies, une vieille parka de cuir éclaboussée de peinture sur le dos avec, entre les mains, quelques décilitres de liquide rose au fond d’un seau que le peintre breton venait de concocter. Il n’y avait pas de gibier autre que le mur de béton. Un prédateur en moi s’est réveillé. Subitement. D’ordinaire, il m’est aussi étranger que l’ombre à une exposition au soleil, l’été. Je n’ai pas reconnu un seul de mes poils tout ce temps où une espèce de courant électrique m’a traversé de part en part.

C’était le puissant cadeau d’Heol. Il avait créé les conditions pour que, suivant le mouvement de mes hanches, de mon bassin, de mes épaules et de mes bras, une flaque de couleur vînt avec force frapper le mur et imprimer le calcaire de ses éclats. J’allais sentir un vertige étrange : la sensation que trente-neuf années de vie m’avaient conduit à ce moment unique, à quelques pas de distance d’une merveille en béton ; j’ai pris mon élan et… splash !

Quelques semaines plus tard, un ami à qui je décris cette intensité en ces termes – et d’autres : « jubilatoire », « sourire inédit », « joie immense », etc. – m’écoute poliment. À son haussement d’épaule qu’accompagnent une moue amusée et un ton las, je décèle le côté tantôt snob, tantôt ridicule ou ringard des mots que je choisis. « Oui, bon d’accord », concède-t-il finalement. Lui qui me reproche souvent de passer par Vladivostok pour faire Paris Marseille plante cette fois son regard dans le mien : « Mais… ça ne serait pas plus simple que tu parles de libération du corps ? »

« Splash » (vidéo):

Heol et son Art (galerie de photos):

Liens:

 

– Site d’Heol artiste: https://heolart.com/

– Youtube: https://www.youtube.com/@heolart1

– Instagram: https://www.instagram.com/heolart/?hl=fr

Citations:

« Il y a chez Heol une volonté d’étonner, de partager, de donner. Sa peinture devient une performance « engagée » dans l’action, la façon d’être, sur un mode physique, sensitif, esthétique. Vivant, profondément humain… » (Alain Jaunault)

Merci beaucoup à Heol pour sa gentillesse, sa patience et sa générosité.

À très bientôt!…

Auteur/autrice

Guilhem Dargnies

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Inscrivez-vous à notre Newsletter!

Rejoignez notre liste de diffusion pour être tenus au courant de nos dernières publications.

Bravo, vous êtes abonné!